Par Hippolyte d’Albis, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à Paris School of Economics et Angela Greulich, maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Dans beaucoup de pays, le manque de consensus sur les objectifs de la politique familiale a conduit à la création d’un grand nombre de dispositifs aux effets parfois contradictoires. Une rationalisation de ces instruments autour de la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes est à même de porter les missions traditionnelles de la politique familiale. Le cas de la France illustre bien ces enjeux.
Un engagement public important en faveur de la famille
Evaluer l’importance de la politique familiale et la comparer aux autres politiques sociales menées en France n’est pas un exercice aisé. Du fait des multiples instruments en faveurs de la famille, c’est une politique dont les contours sont difficiles à appréhender. Il est néanmoins crucial d’évaluer l’engagement public global afin de mesurer son efficacité et de le comparer à celui qui prévaut dans les autres pays Européens et industrialisés.
Un premier aperçu de l’importance de la politique familiale peut être obtenu à la lecture des comptes de la protection sociale. Ces derniers indiquent que les dépenses de la branche famille représentent, depuis 2006, entre 2,8 et 2,9% du Produit Intérieur Brut (PIB) et entre 1,9 et 2% du PIB si on se limite aux dépenses qui relèvent du champ des régimes de l’assurance sociale. Ce sont des montants importants, mais, à titre de comparaison, les dépenses de santé représentent près de 11% du PIB. Au total, c’est moins de 10% de l’ensemble des prestations de la protection sociale qui sont consacrées à la famille. Il faut aussi noter que la protection sociale en France repose sur un principe de financement original, qui distingue la France de ses principaux partenaires commerciaux et, en particulier, de l’Allemagne. Les deux tiers du financement sont assurées par une taxation de la rémunération du travail. Ce sont les entreprises, via les cotisations sociales patronales, qui s’acquittent d’une taxe équivalant à 5,1% (exonérations non comprises) de leur masse salariale. Le reste du financement repose sur des impôts tels que la Contribution Sociale Généralisée (CSG) et des impôts et taxes affectées. Un rapport récent de la Cour des Comptes relève que les politiques d’allègement des charges pesant sur le travail et de crédits d’impôt aux entreprises, ont conduit au cours des dernières années à progressivement réduire la part du financement reposant sur les cotisations sociales patronales.
Les comptes de la protection sociale ne permettent d’appréhender qu’une partie du coût pour les finances publiques de la politique familiale. Les familles bénéficient également de réductions d’impôts. Même si l’exercice est un peu périlleux, il est possible de tenter d’évaluer les recettes fiscales qui auraient été perçues si les allègements fiscaux n’avaient pas existé. Le décompte est souvent imparfait car il postule que les comportements des familles, notamment en ce qui concernent les décisions de fécondité et de participation sur le marché du travail, restent les mêmes quelque soit l’environnement fiscal. Selon l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), dont le site internet regorge de statistiques internationales sur la famille et les politiques familiales, les réductions d’impôts associées à la politique familiale ont représenté en 2009 pour la France 0,78% du PIB. C’est de loin, la « niche fiscale » la plus importante ! Au sein des pays appartenant à l’OCDE, seules l’Allemagne et la Slovénie ont des politiques de réduction d’impôt plus importantes, qui représentent respectivement 1,01 et 0,8% de leur PIB. Le taux moyen dans l’OCDE est près de 3 fois plus faible qu’en France avec 0,28% du PIB. En additionnant les dépenses en faveur de la famille et les réductions d’impôt, la France fait partie avec l’Irlande, le Royaume-Uni et le Luxembourg des quatre pays pour lesquels la politique familiale est la plus couteuse pour les finances publiques. Ils devancent les pays scandinaves, pourtant réputés pour leurs politiques familiales. En Allemagne, le coût total de la politique familiale est 23% plus faible qu’en France.
Outre les dépenses directes et les réductions d’impôts, on retrouve la trace de la politique familiale dans le calcul d’un certain nombre d’allocations, notamment sociales et afférentes au logement, dont le montant versé au bénéficiaire dépend de la taille du ménage. Par, exemple, le Revenu de Solidarité Active (RSA) dépend du nombre d’enfants de moins de 25 ans à charge. Ces dépenses, implicitement liées à la politique familiale, peuvent représenter des montants très importants. Camille Landais, Antoine Bozio et Gabrielle Fack ont estimé que les avantages dont bénéficient les retraités qui ont eu des enfants représentaient en 2005, 17,5 milliards d’euros, soit près de 20% du coût total de la politique familiale. Le volume de ces aides dites différées, car versées aux familles après qu’elles aient élevées leurs enfants, sont susceptibles de fortement augmenter avec l’arrivée à la retraites des générations nombreuses nées après la Seconde Guerre mondiale. Lorsque les droits familiaux à la retraite sont pris en compte, les auteurs estiment que le coût pour les finances publiques de la politique familiale a représenté en 2005, 4,9% du PIB.
Avec la dépense publique d’éducation, qui de façon quelque peu arbitraire n’est pas considérée comme de la politique familiale, les dépenses publiques réduisant pour les familles les dépenses destinées à leurs enfants représentaient, en 2005, 11% du PIB.
Une politique reposant sur une grande diversité d’instruments
La politique familiale française se distingue de celle de ses partenaires par l’extrême diversité des instruments mis en place. La diversité peut être une force car elle permet de répondre aux multiples cas particuliers que représentent les familles ; elle peut également être une faiblesse si elle révèle une double absence de choix politiques et d’évaluation des coûts et avantages des différents instruments.
En s’accommodant d’un certain niveau de généralité, il est possible de définir un instrument de la politique familiale comme un moyen de réduire le coût que représente un enfant pour ses parents, ou plus précisément, comme un transfert de ce coût au reste de la société. De façon assez intuitive, en permettant la réduction de ce coût, la politique familiale encourage les familles à avoir plus d’enfants. Ce type de raisonnement a été rationalisé par Gary Becker et par un grand nombre d’économistes après lui. Il est possible de distinguer deux grands types d’instruments permettant la réduction du coût de l’enfant. Les instruments reposant sur des « transferts monétaires » visent à compenser une partie des dépenses effectuées pour les enfants. De façon complémentaire, les « transferts en temps » ont pour objet de réduire le coût d’opportunité engendré par la perte de salaire des parents souhaitant s’occuper de leurs enfants.
Les instruments reposant sur des transferts en temps sont les plus anciens et sont historiquement associés à la politique d’instruction et d’éduction publique. Avant 6 ans, la scolarisation n’est pas obligatoire, mais les écoles maternelles, créées en 1881, représentent pour 97% des enfants de 3 à 6 ans une offre de garde gratuite. Avant 3 ans, la situation est beaucoup plus hétérogène. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du Ministère des Affaires Sociales, en 2002 seuls 10% des enfants en bénéficiaient d’une garde collective. 22% bénéficiaient d’assistantes maternelles ou de gardes à domicile subventionnes tandis que les 68% restant étaient gardés par leurs parents ou grands parents. Avec un tiers des enfants bénéficiant d’une garde subventionnée, la France demeure un des pays de l’OCDE pour lequel le taux de couverture est le plus élevé. Depuis 2002, le nombre de places dans une structure d’accueil ou familiale est passé de moins de 319.000 à près de 374.000. Au premier janvier 2011, le nombre d’enfants de moins de 3 ans était de 2,26 millions. Selon l’OCDE, les dépenses publiques françaises liées à la garde d’enfant et à l’éducation avant 6 ans représentaient 1,1% du PIB en 2009, soit des niveaux équivalents à ceux de la Finlande et du Royaume-Uni. Ces investissements sont inférieurs à ceux du Danemark et de la Suède, qui atteignent 1,4% du PIB mais supérieurs à ceux de l’Allemagne qui ne consacre que 0,5% de son PIB à ce type de dépenses.
Les instruments reposant sur des transferts monétaires sont plus récents. Réservés à certains salariés dans les années 1930, ils sont généralisés et revalorisés pendant la guerre et en 1945 par les ordonnances assurant la création du système de sécurité sociale. Certaines prestations, telles que les allocations familiales, l’allocation de soutien familial, ou l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé ont un caractère universel, ce qui signifie que seuls le nombre d’enfants et le rang de naissance sont pris en compte. D’autres prestations dépendent aussi des revenus du ménage. C’est le cas du complément familial, de l’allocation de rentrée scolaire, et de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje). La tendance est à la réduction de la part des prestations universelles. D’après la Caisse d’Allocations Familiales (CAF), les allocations familiales, qui représentaient 60% des prestations familiales en 1990, ne représentaient plus que 40,5% en 2011. En revanche, la Paje, créée en janvier 2004, représentait 40% des prestations familiales en 2001. Selon la DRESS, 6,8 millions de familles bénéficiaient fin 2011 de prestations familiales.
Les réductions d’impôts sont également des transferts monétaires, même si ces derniers sont implicites. Le système du quotient familial, créé en 1945, est ainsi l’instrument le plus unique de la politique familiale française. Avec son compagnon, le quotient conjugal, il consiste en un ajustement du revenu du ménage au nombre d’individus qui le compose. Ceci revient, approximativement, à partager le revenu entre les membres du ménage avant d’appliquer le taux de taxation à chaque part. Du fait de la progressivité de l’imposition du revenu, le système produit une réduction d’impôt croissante avec le revenu. Les défenseurs de ce système rappellent que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 stipule que la pression fiscale doit être partagée équitablement entre les citoyens en fonction de leur « capacité contributive ». Il n’en reste pas moins que pour un même revenu un couple avec deux enfants paiera moins d’impôt qu’un couple sans enfant, ce qui représente un transfert en faveur des familles. De même, les enfants ne sont pas traités symétriquement car leur rang de naissance intervient dans le calcul de la réduction d’impôt.
Enfin, certains instruments combinent des transferts en temps et en argent. Les plus symboliques sont le congé maternité, créé en 1909 et rémunéré pour toutes les femmes salariées depuis 1970, et le congé de paternité créé en 2002. Les parents bénéficient d’une rémunération mais également de temps pour s’occuper de leurs enfants. A l’issue de ce congé, des prestations (tel que le complément de libre choix d’activité qui a remplacé l’allocation parentale d’éducation, APE) sans conditions de ressources mais sous conditions relatives à l’activité professionnelle passée sont offerte aux salariés souhaitant garder eux-mêmes leurs enfants en bas âges. Au sein des pays de l’OCDE, la France fait partie des pays où la durée rémunérée du congé parental est la plus élevé. Elle est environ deux fois plus longue qu’en Allemagne et que dans la moyenne des pays de l’OCDE. Les promoteurs de ces politiques insistent aussi sur l’importance de laisser aux parents le choix de l’environnement socio-pédagogique dans lequel leur enfant évoluera. Le complément de libre choix du mode de garde offre cette possibilité.
Cette grande diversité d’instruments ne représente bien sûr que le versant budgétaire de la politique familiale. Les législations sur le mariage, le divorce, la contraception, l’avortement participent également à la réalisation des objectifs politiques et sociétaux relatifs à la famille.
Les politiques familiales en Allemagne
L’Allemagne se caractérise par une fécondité beaucoup plus faible qu’en France et une situation des femmes sur le marché du travail plus précaire. La politique allemande repose sur un système généreux d’allocations forfaitaires et de réductions d’impôts, notamment via un quotient conjugal. Les frais de modes de garde permettent donnent quant à eux droit à de faibles déductions d’impôts. De façon générale, l’offre de garde d’enfants en bas âges est peu développée. Pour les enfants de plus de 3 ans, les Kindergarten et, ensuite les écoles, sont souvent fermées l’après-midi. Depuis 2007, l’Allemagne offre un congé parental similaire au système suédois : il dure 12 mois et la compensation est proportionnelle au salaire. Les pères sont incités à prendre au moins deux mois de congés. De fait de l’insuffisance manifeste de crèches, ce système connait néanmoins un succès mitigé quant au retour des femmes sur le marché du travail. En 2013, le gouvernement allemand a mis en place une nouvelle allocation destinée aux parents au foyer, le Betreuungsgeld, qui risque de renforcer l’exclusion des femmes du marché du travail.
Deux grands objectifs traditionnels : la natalité et la réduction des inégalités
La famille ne fait pas partie des missions régaliennes de l’Etat et il est légitime de se demander ce qui justifie l’intervention massive de la puissance publique dans ce qui relève des choix de la sphère privée. Il est, en outre, utile de recenser ces objectifs afin d’évaluer la capacité des différents instruments à les atteindre.
Historiquement, les politiques familiales ont pour objectif de favoriser la natalité. L’Europe continentale de l’Ouest, et en particulier la France, connaissaient depuis le 19ème siècle une baisse de la fécondité dont les possibles conséquences ont suscité des débats passionnés. Au cours de la première moitié du 20ème siècle, les gouvernements prendront clairement le parti des nativistes et s’engageront dans la lutte contre la dépopulation, systématiquement associée au mythe du déclin. Des lois en faveur du mariage sont alors votées et des instruments financiers seront mis en place. L’objectif nataliste reste important pour certains groupes sociaux et, selon les gouvernements, garde plus où moins de place dans les arbitrages relatifs à la politique familiale. Il se distingue d’un objectif d’accroissement de la population qui est également favorable à l’immigration. Néanmoins, la population de la plupart des pays d’Europe n’a pas connu de diminution et les alarmes relatives à la dépopulation se sont avérées excessives. Les craintes justifiant l’objectif nataliste ont donc été reformulées. C’est la lutte contre le vieillissement de la population qui est devenu le nouveau cheval de bataille des nativistes, dont le livre publié en 1946, « Des Français pour la France » de Robert Debré et Alfred Sauvy, est un des plus symboliques. Associée au vieillissement, la problématique du financement du système de retraite par répartition, est aujourd’hui le principal enjeu de société mis en avant par les promoteurs de l’objectif nataliste.
Un second objectif s’est petit à petit accolé à l’objectif initial. Il s’agit d’un objectif social, qui lui-même se décline en plusieurs facettes. Traditionnellement, la politique familiale permet un transfert des familles les moins nombreuses vers les familles les plus nombreuses, afin de corriger l’inégalité dont pâtissent les enfants nés dans les familles nombreuses. La justification repose sur un principe d’égalisation des opportunités de tous les enfants. Mais comme le nombre d’enfants résulte en grande partie d’un choix des familles, l’objectif social conduit à favoriser celles qui font ce choix. Outre la question des inégalités relatives, la question de la pauvreté des enfants conduit, dans le cadre d’un objectif social, à des actions spécifiques de la politique familiale en faveur des enfants des familles les plus pauvres. Il est enfin parfois difficile, même dans le cadre des politiques familiales, d’exclure un critère purement social qui promeut une redistribution des familles les plus riches vers les familles les plus pauvres. A nombre d’enfants égal, les instruments de la politique familiale sont parfois jugés en fonction de leur capacité à réduire les inégalités.
Les deux grands objectifs de la politique familiale ne sont a priori pas nécessairement contradictoires. Les familles pour lesquelles les niveaux d’éducation et de revenu des parents sont les plus élevés sont, en moyenne, aussi celles qui ont le moins d’enfants. Un instrument favorisant les familles nombreuses favorisera donc également les familles les plus pauvres. Pourtant, certains économistes, dont les travaux sont souvent dans la lignée de Gary Becker, pensent que l’investissement des parents dans la réussite de chaque enfant décroit avec le nombre d’enfants. En recevant moins d’attention, les enfants des familles nombreuses réussiraient moins bien leur parcours scolaire et leur insertion professionnelle. Cette relation causale est difficile à prouver, mais si elle était avérée, l’objectif nataliste rentrait alors en contradiction avec l’objectif social car il favoriserait la reproduction des inégalités sociales. La multiplicité des objectifs n’est pas une spécificité de la politique familiale et la plupart des politiques non régaliennes, telle que l’éducation, le soutien aux personnes âgées, le logement, l’aménagement du territoire, etc. ont également une dimension sociale. Des oppositions peuvent portant apparaître quand au degré de redistribution d’un instrument de la politique en question. Les tenants de l’objectif nataliste défendront les instruments les plus favorables à la fécondité tandis que les tenants de l’objectif social favoriseront les instruments redistributifs. Les rapports d’experts sur la politique familiale peuvent ainsi proposer des recommandations différentes (voir notamment le rapport de Michel Godet pour l’Institut Montaigne et celui de Guillaume Macher pour Terra Nova).
Un objectif intermédiaire : la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes
De façon plus récente, un objectif intermédiaire se dessine. Par exemple, dans le cadre de la rénovation de la politique familiale, le gouvernement français a réaffirmé en juin 2013 que la politique devait favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. Plus généralement, cet objectif d’égalité mené dans le cadre des politiques familiales comporte deux dimensions. Sur le plan économique, elle vise à améliorer la situation des femmes sur le marché du travail, ou au minimum à faire en sorte que les instruments choisis ne détériorent pas cette situation. C’est la participation des femmes au marché du travail, leur capacité à retrouver un emploi à la suite d’une maternité et l’ensemble de la carrière professionnelle qui deviennent alors les objectifs intermédiaires de la politique. Sur le plan de la vie familiale, la promotion de l’égalité vise à accroître l’indépendance économique des femmes et à susciter un partage plus équitable des taches domestiques au sein du ménage. Au final, c’est une meilleure conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale qui est recherchée afin de permettre aux femmes de ne pas avoir à choisir.
L’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes s’oppose t’il à l’objectif nataliste ? Il est certain que le fait d’avoir des enfants a un effet sur la carrière des femmes. Dans une étude publiée en 2009, Julie Moscion démontre que l’effet causal est relativement important en France. Elle trouve que le fait d’avoir plus de deux enfants diminue la probabilité des mères d’être en activité de 0,2 et, lorsqu’elles sont en emploi, le nombre d’heures travaillées par semaine de deux heures. Ceci ne signifie cependant pas que les deux objectifs de la politique familiale sont incompatibles : promouvoir l’égalité signifie que les instruments favorisant la natalité, mais sans réduire la participation des femmes sur le marché du travail, seront préférés. L’âge à la première maternité semble, de ce point de vue, particulièrement important. Amalia Miller a montré, en utilisant des enquêtes américaines, que repousser d’un an la maternité conduisait à une augmentation significative des salaires perçus et des heures travaillées par les femmes (les revenus au cours de la carrière sont ainsi augmentés de 9%) et à une amélioration de la réussite scolaire de leurs enfants.
Promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes ne s’oppose pas non plus à l’objectif social car, par définition, une plus grande participation des mères au marché du travail réduit les inégalités de revenus entre les familles de taille différentes. De façon importante, des études récentes suggèrent que l’implication des deux parents auprès des enfants a des effets significatifs sur les résultats scolaires et le développement socio-émotionnel des enfants (voir, en particulier, l’étude australienne de Jennifer Baxter et Diana Smart sur l’effet du temps passé par les pères).
Les politiques familiales sont elles efficaces ?
L’évaluation des politiques publiques connait aujourd’hui un profond renouvellement. Les études proposant des comparaisons internationales permettent de mettre en lumière des corrélations statistiques. Elles souffrent néanmoins de biais liés aux différences entre les pays non prises en compte par l’analyse. Les études microéconomiques permettent de mieux appréhender les relations de causalité, notamment lorsqu’elles exploitent des changements de législation non anticipés. Elles ne permettent néanmoins pas d’avoir une appréciation globale d’une politique aux multiples instruments (Cf. la note du Conseil d’Analyse Economique). Néanmoins, comme le rappelle Olivier Thévenon, l’évaluation des politiques familiales connait des difficultés spécifiques liées au caractère planifié de la décision d’avoir un enfant et à la difficulté de distinguer les effets sur le taux de fécondité de ceux affectant la descendance finale.
Dans leurs études publiées récemment, Olivier Thévenon et Angela Luci-Greulich montrent que les pays aux politiques familiales ambitieuses sont ceux pour lesquels la natalité est la plus forte. La plupart des instruments ont un effet positif mais c’est la combinaison d’un grand nombre d’instruments qui, comme en France, permet de répondre aux besoins spécifiques des différentes classes de la population et conduit à des taux de fécondité plus élevés qu’ailleurs (Cf. la dernière note de conjoncture démographique de la revue Population). Ceci est d’autant plus efficace que la participation des femmes au marché du travail est élevée. Plus spécifiquement, les allocations versées après l’année de la naissance et l’offre de garde d’enfants ont des effets plus importants que les allocations versées à la naissance et les congés parentaux. Ces politiques favorables à la natalité entraînent néanmoins des effets collatéraux importants.
Plusieurs études françaises permettent d’évaluer plus précisément les avantages et inconvénients des différentes politiques. Les transferts monétaires, tels que les allocations familiales et les réductions d’impôt ont été analysés dans de nombreuses études et, en particulier, par Guy Laroque et Bernard Salanié. Ces transferts augmentent la descendance finale mais réduisent la participation des femmes sur le marché du travail, notamment pour les moins qualifiées. Concernant plus spécifiquement les réductions d’impôts, Camille Landais a étudié l’effet du changement de législation de 1981 pour évaluer les bénéfices du quotient familial. Il trouve que l’effet sur la probabilité d’avoir un enfant est très faible. Cette faible performance est à mettre en regard de l’effet anti-redistributif des réductions d’impôts. Plus récemment, Clément Carbonnier a montré que le quotient conjugal réduisant la participation des femmes sur le marché du travail, notamment pour les ménages à revenus moyens et élevés et lorsque l’écart de salaire est important au sein du couple.
Concernant le mode de garde d’enfants, les études sont également unanimes. En analysant la décision d’étendre l’Allocation parentale d’éducation au deuxième enfant, Thomas Piketty a montré que ce système de congé parental avait un effet très faible sur la natalité au prix d’une forte réduction de la participation des femmes sur le marché du travail. Cet effet a été confirmé par Julie Moschion qui met l’accent sur le rôle joué par la compensation financière dans la réduction. En revanche, la préscolarisation a un effet positif sur l’activité des femmes. Dominique Goux et Eric Maurin établissent cet effet pour les mères célibataires tandis que Julie Moschion le montre pour les mères diplômées du supérieur.
La promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes comme objectif intermédiaire de la politique familiale permet d’identifier les instruments qui permettent de réconcilier les objectifs traditionnels, qu’ils soient natalistes ou sociaux. Elle conduit à préconiser l’imposition individuelle des revenus et à transférer le coût implicite des réductions d’impôts à des investissements dans des crèches et dans la formation des assistantes maternelles. Elle suggère également une extension des congés de maternité et de paternité à l’instar des congés parentaux proposés en Suède ou en Allemagne. Ces congés, plus courts et potentiellement mieux rémunérés, viendraient en remplacement du Complément de libre choix d’activité.
Conclusion
Un engagement financier important du gouvernement en faveur des politiques familiales permet de soutenir la natalité et de ralentir le vieillissement de la population. Néanmoins, certaines politiques contribuent à renforcer les inégalités, que ce soit entre les familles ou entre les sexes. Les instruments qui permettent aux femmes de concilier leur vie professionnelle avec leur vie familiale sont plus efficaces que les autres car ils réduisent aussi les inégalités. La promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes ne doit cependant pas se cantonner à la politique familiale et doit, notamment, investir les politiques du marché du travail.
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Source de l’article :
H. d’Albis, A. Greulich (2013) : « Pour une politique familiale efficace », Problèmes Economiques, Dossier Journées de l’Economie de Lyon 2013 (JECO), pp. 53-59. télécharger le pdf ici
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