Le Monde.fr | 07.03.2014
Alors que le taux de chômage des femmes était près de deux fois supérieur à celui des hommes en 1975, l’écart semble aujourd’hui s’être complètement réduit, le taux de chômage atteignant 10,5% pour les femmes comme pour les hommes fin 2013 (Insee). On peut cependant s’interroger sur sa pertinence pour analyser les inégalités entre femmes et hommes face à l’emploi. Ce questionnement est d’autant plus nécessaire que le choix des indicateurs statistiques pour analyser le marché du travail oriente les politiques publiques. La focalisation sur le taux de chômage en tant que principal indicateur du marché du travail pose donc problème, en particulier quand il s’agit d’analyser les situations comparées des femmes et des hommes et d’envisager des solutions adaptées aux unes et aux autres.
Si leurs taux de chômage se sont indéniablement rapprochés en même temps que le chômage augmentait au cours des dernières décennies, d’autres indicateurs statistiques complémentaires mettent néanmoins évidence les inégalités subsistant entre femmes et hommes sur le marché du travail en France. Rappelons tout d’abord que le taux d’emploi des femmes est de 60,2% alors qu’il s’élève à 68,1% pour les hommes. L’écart se creuse encore si on considère le taux d’emploi en équivalent temps complet, restant à un niveau très proche pour les hommes (66,2%) ce taux chute fortement pour les femmes, pour atteindre seulement 53,4%, témoignant ainsi de la très forte proportion de femmes travaillant à temps partiel. Par ailleurs, les femmes sont surreprésentées dans certaines catégories de demandeurs d’emploi : ceux qui recherchent un emploi tout en exerçant une activité réduite (catégories B et C de Pôle Emploi). Or la plupart de ces demandeurs d’emploi qui recherchent un emploi de meilleure qualité ne sont pas comptabilisés dans les statistiques usuelles du chômage (que ce soit le chômage au sens du BIT ou la catégorie A de Pôle Emploi). Les difficultés de ces femmes sur le marché du travail sont donc de ce fait moins visibles dans le débat public.
Enfin, et c’est là un élément fondamental, les femmes sans emploi sont majoritairement « inactives » c’est-à-dire qu’elles ne se positionnent pas sur le marché du travail par la recherche d’emploi. Plus précisément parmi les femmes âgées de 25 à 49 ans n’occupant pas un emploi, deux tiers sont « inactives » et un tiers chômeuses. Ainsi, contrairement aux hommes, les femmes sans emploi sont plus souvent « inactives » que chômeuses. A l’inverse des hommes, cette « inactivité » est fortement liée pour les femmes à la présence d’enfants. Ces femmes peuvent faire le choix de ne pas se présenter sur le marché du travail notamment pour s’occuper de leur famille, les normes familiales mais aussi la crise de l’emploi pouvant directement ou indirectement favoriser ce choix. Néanmoins, certaines personnes « inactives » souhaitent travailler mais ne sont pas considérées comme au chômage car elles ne sont pas rapidement disponibles pour occuper un emploi ou n’ont pas fait de démarche de recherche d’emploi récemment : c’est ce qu’on appelle le halo du chômage. Et sans surprise, les femmes sont à nouveau fortement surreprésentées dans ce halo du chômage par rapport aux hommes.
Ainsi la focalisation sur le taux de chômage pour illustrer les difficultés du marché du travail masque les inégalités persistantes entre femmes et hommes face à l’emploi. Des freins spécifiques à l’emploi des femmes subsistent et ce malgré l’élévation de leur niveau de formation. Problèmes de modes de garde des enfants, prise en charge des parents dépendants, et donc moindre mobilité, mais aussi non reconnaissance de certaines compétences l’accompagnement dans l’emploi des femmes demande des politiques de l’emploi, des politiques familiales et de la dépendance sensibles à l’égalité entre femmes et hommes. Mais comment mener cette sensibilisation aux inégalités entre femmes et hommes, si l’indicateur le plus utilisé masque les spécificités de la situation d’emploi des femmes ?
Mathilde Guergoat-Larivière et Séverine Lemière sont aussi co-auteures du rapport L’accès à l’emploi des femmes, une question de politiques, remis à la ministre des droits des femmes en décembre 2013.