Pourquoi remettre en cause la fiscalité familiale?

En France comme en Allemagne, le système d’imposition des familles a été récemment critiqué à cause de son caractère antiredistributif. Le fait que le quotient familial français ainsi que le quotient conjugal allemand découragent l’activité professionnelle des femmes est souvent peu considéré. Pourtant, quand il s’agit de réfléchir aux réformes potentielles, la prise en compte de ces effets de «genre» est essentielle afin d’éviter que le nouveau dispositif reproduise des faiblesses du quotient familial et de son homologue allemand.

Avec une moyenne de 1,4 enfant par femme âgée de 15 à 49 ans, le taux de fécondité en Allemagne est nettement plus bas qu’en France où il atteint 2,1 enfants par femme (Eurostat, 2010). Et même si les deux pays ont un taux  d’activité des femmes autour de 60%, l’emploi féminin en Allemagne repose davantage sur le travail à temps partiel et l’emploi précaire. En effet, 45,5% des emplois féminins y sont occupés à temps partiel, contre seulement 30% en France (Eurostat, 2009). Le faible taux de fécondité et le faible volume de travail des femmes en Allemagne par rapport à la France suggèrent que les Françaises réussissent mieux que les Allemandes à concilier travail et vie familiale. Cela est souvent expliqué par le fait que la France bénéficie d’une infrastructure des services de garde d’enfants plus développée et des normes familiales plus modernes. Pourtant, le système du soutien financier pour les familles y
joue aussi un rôle important.

En y regardant de plus près, on s’aperçoit  que c’est surtout le système d’imposition des familles qui empêche beaucoup de mères de combiner vie familiale et travail. En Allemagne, le quotient conjugal (Ehegattensplitting) encourage clairement un modèle familial traditionnel, avec un pourvoyeur de revenu unique ou principal. C’est certainement moins le cas pour l’équivalent français, le quotient familial. Toutefois, le système d’imposition des familles n’est pas neutre en France. Le quotient familial décourage aussi l’activité professionnelle des femmes, même si la prise en compte des enfants atténue cet effet en comparaison avec le quotient conjugal allemand.

Le quotient conjugal allemand ne prend pas en considération le nombre d’enfants. En France, le quotient familial prend en compte le nombre d’enfants jusqu’à l’âge de 18 ans. Le barème fiscal étant progressif dans les deux pays, le quotient allemand comme le quotient français favorisent les couples à salaires uniques ou très disparates. Pour ces couples, les deux quotients ralentissent la progression du tarif fiscal et provoquent ainsi une augmentation de l’abattement fiscal. Plus l’écart des salaires entre conjoints est élevé, plus la réduction d’impôt est grande. Par conséquent, les familles qui réduisent cet écart subissent des pertes de soutien financier. En effet, les deux systèmes d’imposition jointe impliquent un taux d’imposition marginal élevé pour le second apporteur du revenu. Ce sont souvent les femmes qui sont moins bien rémunérées que leur conjoint. L’imposition jointe décourage donc beaucoup de femmes d’augmenter leur offre de travail. Cela concerne surtout les femmes peu qualifiées ayant un conjoint avec un salaire important. Leur faible participation au marché du travail les met, par conséquent, dans une situation de dépendance en matière de revenu, de retraite et de santé.

Comme  le quotient familial français prend en compte le nombre d’enfants,  le taux d’imposition marginal pour le second apporteur du revenu d’un foyer avec enfants est moins élevé en France qu’en Allemagne. Le taux d’imposition du deuxième revenu atteint 49,6% en 2008 en Allemagne contre 22,7% en France pour un couple avec deux enfants, et 100% (homme) et 33% (femme) du revenu moyen (OCDE, 2009). Pourtant, le quotient familial français,  a, lui aussi, une influence négative sur l’offre de travail d’une grande partie des femmes, même si son taux marginal implicite est moins élevé qu’en Allemagne.

Dû à l’effet négatif du quotient familial sur l’emploi des femmes, il y a tout lieu de réfléchir à comment rendre le système français d’imposition des familles non seulement plus équitable, mais aussi et surtout plus égalitaire. La réforme de plus grande envergure consiste à individualiser l’impôt sur le revenu afin de mettre fin au quotient familial. Plusieurs pays sont déjà passés à un impôt strictement individuel, comme par exemple la Suède. Le rendement d’une fiscalité individuelle et progressive permet en Suède de mettre plus de moyens pour financer des institutions publiques qui permettent aux parents de concilier vie familiale et travail (crèches, congé parental rémunéré…). Il est nécessaire de faire bénéficier les familles des gains de la suppression du quotient familial (11 milliards d’euros par an), tout en évitant que ces investissements aient un impact négatif sur l’offre de travail des parents. Encourager l’activité professionnelle des femmes avec enfants en facilitant la conciliation vie familiale-vie professionnelle correspondrait tout à fait au principe de la politique familiale française.

Pour lire plus:

Angela Luci (2012): “Pourquoi est-il vraiment nécessaire de remettre en cause la fiscalité familiale? Une analyse comparative France–Allemagne.”, Revue Forum 03/2012, pp. 68-75.

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